Problèmes et solutions

On peut à la lumière des paragraphes précédents dégager un point de vue sur la difficulté psychologique qui a le mérite d’être simplissime dans son principe : des solutions qui deviennent des problèmes. 

– La première gestation est de l’ordre du jugement : pour s’adapter, la personne met en place une solution (par exemple, manger plus que de raison). Elle (ou son entourage) décide à un moment qu’il s’agit d’un problème. Cette étape est importante, car par définition, c’est en décidant que quelque chose est un problème que ça en devient un (de nombreuses personnes, à un moment ou à un autre de leur vie ont mangé plus que de raison sans décider qu’il s’agisse d’un problème).

– La deuxième gestation est de l’ordre de la prise de décision : à partir du moment ou on a déterminé qu’on avait un problème, il est tout à fait légitime de vouloir mettre en place des solutions. Le trouble va ici se révéler lorsque les solutions mises en place complexifient le problème (par exemple se retenir de manger pour ensuite sombrer dans des compulsions alimentaires plus importantes). Les solutions au problème deviennent elles-mêmes un problème.

On voit ici que l’intention est bonne, mais qu’il y a un brouillage des intentions et effets obtenus. On peut alors se demander si une thérapie pertinente doit se concentrer sur la résolution du problème ou sur la mise en place de solutions.

La scène comporte une institutrice de dernière année de maternelle et un enfant de sa classe :
 
C’est la sortie . Un des enfants lui demande de l’aide pour mettre ses bottes . En effet, elles sont vraiment dures à enfiler . Après avoir poussé, tiré, poussé, tiré les bottes dans tous les sens, elles sont chaussées et le gamin lui annonce alors :
 
– Elles sont à l’envers, maîtresse !
 
La maîtresse attrape un coup de chaud quand elle s’aperçoit qu’en effet, les bottes sont à l’envers . Elle réussit à garder son calme, enlève les bottes et les rechausse aux bons pieds . Et là, le gamin dit : 

– C’est pas mes bottes !
 
A ce moment, elle fait un gros effort pour ne pas lui mettre une claque . Elle se calme et lui demande :
 
– Mais pourquoi ne l’a tu pas pas dis avant ? Bon, allez, on les enlève…

Elle se remet au travail . L’enfant poursuit :
 
– Ce ne sont pas mes bottes, c’est celles de mon frère ! Maman a dit que je devais les mettre !
 
Là, elle a vraiment envie de hurler . Elle entreprend de lui re- re- mettre ses bottes. Pour finir, elle le met debout, lui enfile son manteau , son cache-nez et s’exclame :
 
– Mais où sont tes gants ?

Et le gamin répond :
 
– Je les ai mis dans les bottes !

Quelques principes découlent de ce constat : 

  • Quelque soit leur origine, les problèmes persistent en raison des tactiques mises en place par le sujet pour les résoudre. 
  • Le sujet, voyant ses stratégies se révéler inefficaces, va les renforcer. Erickson décrivait ainsi le phénomène : « Encore plus de la même chose ».
  • Le sujet doit donc mettre en place de nouvelles solutions, mais aussi arrêter de faire ce qu’il faisait jusqu’à présent pour résoudre le problème.
  • On peut en arriver à l’idée qu’on traite le problème, mais tout autant les tentatives de solutions inadaptées.

Recadrage du pathologique

Ces différents aspects entraînent une redéfinition du dysfonctionnel ou du pathologique.

  • Orientation solutions : les solutions mises en place par la personne ne sont pas pathologiques en elles-mêmes. Ce sont des réponses logiques et généralement de bon sens ordinaire. C’est leur systématisation, leur renforcement malgré leur inefficacité qui crée le problème ou la pathologie.
  • Orientation problème : le problème n’est pas dans la personne, il est structurel. Le « vrai » patient n’est pas la personne, mais le processus qui mène au symptôme : l’interaction de l’individu avec ce qui l’entoure. 

A première vue, le champ des thérapies brèves peut donc sembler scindé en deux. D’un côté les thérapies qui se penchent et agissent sur le problème, de l’autre celles qui se penchent sur la solution. L’ « orientation problème » présente un long historique, puisque qu’il correspond à peu de chose près à celui de la médecine. La thérapie traditionnelle a besoin d’émettre un diagnostique, pour déterminer ce qui ne va pas et pouvoir s’attaquer au problème (soigner) afin que le patient en soit libéré (guérir). 

Les thérapies brèves « orientées problème » ne s’inscrivent pas dans cette logique. A l’image par exemple de la thérapie stratégique, elles s’intéressent, non pas au problème, mais à sa structure afin… de trouver une solution.

La démarche en thérapie stratégique est décrite ainsi par Fish et Piercy (2) :

«… fondée sur l’hypothèse théorique que le comportement, qui se manifeste comme partie d’une séquence en cours d’événements interactionnels récursifs, ne peut être compris que dans son contexte. Les symptômes sont enchâssés dans les séquences de l’interaction, et sont développés et entretenus par des solutions inefficaces. Les symptômes ne sont pas problématiques par nature mais plutôt, sont construits de cette manière, en fonction de la réalité créée par la famille. La thérapie vise à changer cette réalité. » 

Ainsi même quand les thérapies brèves s’intéressent au problème, c’est en réalité au processus qui mène à la difficulté qu’elles s’intéressent plus qu’au problème lui-même. Erickson disait que le symptôme est comme un manche de casserole : cela permet de prendre la casserole pour goûter ce qu’il y a dedans. Tout juste peut-on donc reconnaître au symptôme une forme utilitaire (qu’Erickson saura d’ailleurs bien négocier). Les deux orientations n’apparaissent donc pas comme antagonistes mais plutôt comme complémentaires, le principe pouvant être autant de remettre en cause une structure à travers ses dysfonctionnements que de lui proposer un fonctionnement adapté. 

Lien externe : Problème et paradoxe / Perte de Poids

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À propos de l’auteur

Jérôme Boutillier - Caen
- Enseignant à l'INCTB (Institut Normand de Coaching et de Thérapie Brève).
- Auteur des Manuels d'Hypnose et de Thérapie Brève
http://www.inctb.net

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